Bleu : Le ciel se contemple dans le miroir/la Loire

« BLEU : Le ciel se contemple dans le miroir/la Loire»

Le projet que je propose à la IIIe édition de la manifestation Estuaire de Nantes-Saint-Nazaire est conçu pour l’aménagement d’un espace ouvert, tandis que le choix des formes et de l’emplacement a été fait en étroite relation avec deux histoires qui confèrent un caractère spécifique et inédit à ce grand paysage, l’estuaire Nantes-Saint-Nazaire.
Le projet entend s’inscrire dans un procès de reconfiguration de ce territoire en se donnant comme but de faire émerger un nouveau type de relation entre le public et le paysage, de rendre son identité et son attractivité à un emplacement qui fait partie du paysage et de constituer en un point de repère vital pour un territoire trop vaste et trop difficile à saisir pour celui qui le traverse.
Autrement dit, il s’agit de proposer une formule visuelle à même de donner une identité propre à un espace ouvert. En effet, on ne saurait aménager un tel espace sans le reconfigurer, le transformer…

Pourquoi Paimboeuf, sur les bords de la Loire ?
Parce que cet avant-port est le lieu de rencontre de deux histoires, celle de la migration des grues et celle de la traite négrière, deux histoires dont le passage par Paimboeuf est le point commun.
Paimboeuf et la traite négrière : L’avant-port d’une ville, à l’entrée de l’estuaire d’un fleuve, point de départ et d’arrivée pour les navires qui pratiquent le commerce en croisant les mers et l’océan. Parmi ceux-ci, un navire comme tant d’autres… Rien de plus banal dans la vie d’un petit port situé en aval de la ville de Nantes en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ce qui sort de l’ordinaire, c’est que les deux éléments – le petit port, Paimboeuf, et le navire, La Marie-Séraphime – soient liés à l’existence d’un système commercial qui s’est perpétré pendant presque cent cinquante ans à Nantes pour assurer le trafic humain en partant de ce port. La mémoire locale a longtemps conservé le souvenir des quatre voyages triangulaires qui se sont déroulés de 1595 à 1866 entre Nantes, Loango et Saint-Domingue. Puis la découverte des planches représentant le navire et la « marchandise » transportée, des cartes, des livres de bord – et de traite, feront de La Marie-Séraphique un des symboles iconographiques forts de cette histoire, celle de la traite négrière.

La migration des oiseaux entre l’Europe et l’Afrique : J’ai choisi la grue et non pas un autre oiseau pour mon projet parce que, en période de migration, cet oiseau traverse la France pour atteindre l’Afrique d’abord, puis, la saison suivante, pour rejoindre à nouveau l’Europe. Ce trajet reliant à l’aller et au retour l’Europe à l’Afrique passe par l’estuaire de la Loire, qui devient ainsi le point commun des deux histoires.

Le panneau est posé sur le bord de la Loire en sorte qu’il se reflète partiellement dans l’eau. A l’instar du ciel réel, celui figurant sur le panneau blanc se reflète dans l’eau. Comme il y a deux siècles, le ciel et la Loire sont les témoins de notre histoire, une histoire désormais recomposée, racontée autrement, véhiculant des significations sensiblement différentes de celles d’autrefois.

Les oiseaux sont associés à l’idée de vol. La position des grues en trois dimensions se trouvant au sol indique leur décollage imminent. Leur disposition, qui épouse une courbe aléatoire, suggère le mouvement de rotation des grues entamé après le décollage. Enfin, sur le plan vertical, le vol proprement dit est signifié par le jeu des découpes des grues figurant sur le panneau.
L’objet en fer qui se trouve sur le sol devant le panneau reproduit à une échelle supérieure la forme des entraves qui étaient placées autour du cou des esclaves pour les empêcher de marronner. Il joue le rôle d’élément fixe, contrastant avec les oiseaux qui prennent leur envol.
En matière d’origami, la grue est une des représentations les plus prisées, donc facile à reconnaître. Cet oiseau symbolise la paix, le calme, la loyauté (les couples restent unis toute leur vie), il est élégant, il a le goût du voyage, le courage et le sens de la fraternité et de l’économie. « Quiconque plie mille grues de papier verra son vœu exaucé », dit la légende.

Par un contraste simple et clair, j’ai voulu suggérer sur une même trajectoire l’antinomie entre la liberté des oiseaux migrateurs (leur mouvement naturel et en harmonie avec la nature) et l’absence totale de liberté des esclaves noirs. Tandis que des oiseaux de couleur blanche prennent leur envol (et leur mouvement cyclique fait librement le lien entre l’Europe et l’Afrique), leurs silhouettes découpées, bleu marin, presque noir, font allusion aux ombres des esclaves noirs qui restent, à jamais, comme des taches indélébiles, sur le blanc immaculé du panneau. J’ai voulu rappeler le contraste entre la beauté du lieu, où le ciel, l’air et l’eau prennent des tonalités bleu marin, et la tragédie humaine qui s’y est déroulée.

Mon choix s’est porté sur le bleu marin pour symboliser les esclaves noirs qui, en route vers les Antilles, traversaient l’océan dans un voyage sans retour. Les témoins de ce voyage furent le ciel, l’océan sans fin, bleu marin, et les oiseaux du ciel, blancs.
Le contraste accentué entre le blanc et le bleu marin met en évidence les formes découpées dont la présentation rappelle le binôme noir et blanc du drapeau breton*

  • Attention, sur les photographies du dossier, le bleu foncé peut passer pour du noir alors que c’est bel et bien le bleu marin qui est prévu. Pour éviter toute confusion, j’ai ajouté au dossier deux échantillons de bleu et de blanc.