Cristina Passima est une messagère, une go-between, elle assure la médiation entre l’espace réel, naturel ou urbain, et son for intérieur poétique qui cherche sa voie et son accomplissement dans la communication avec nous, avec le monde.
« Disons que c’est comme si… », ainsi sonne la déclaration de l’artiste, comme un incipit
nécessaire pour pénétrer dans l’univers de ses contes. Ses histoires ne sont pas sur la Belle au bois dormant et son prince charmant, ce sont des comtes pour les enfants aussi mais surtout pour les adultes d’aujourd’hui. Elles s’écrivent au Plexiglas et au néon, parce que Cristina Passima accepte les défis des technologies modernes, ayant recours aux matériaux courants de la publicité, comme pour les exorciser avec leurs propres armes. Une sorte de similia similibus curantur… Sans préjugés ni gêne, l’artiste fait appel aux matériaux propres à la tant détestée publicité que d’aucuns abhorrent - parfois à juste titre. Une descente au quotidien banal, mais pour mieux rebondir vers un monde onirique et ludique. Cristina Passima ne se demande pas seulement Qui a peur de Big Apple ? (c’est le titre du cycle consacré au WTC 9/11) mais aussi à qui le Plexiglas et le néon fait peur. Il y a une chaleur, répond-elle, un potentiel poétique même dans les matériaux considérés d’ordinaire froids et rébarbatifs.
Elle aime travailler avec des symboles et des éléments abstraits. Quoi de plus élémentaire et symbolique que l’arc-en-ciel, apparenté au « Hyphen » de Paul Neagu, que son récent projet « Réflexions/Arc-en-ciel » met en scène.
Les thèmes qui balisent sa voie varient d’un travail à un autre. Peut-être parce que Cristina Passima n’est pas restée sur place, a brassé des identités distinctes – aroumaine/roumaine/française, parce qu’elle vit et travaille dans plusieurs pays, a traversé des milieux et des langages incompatibles les uns avec les autres selon certains. Les exotismes et l’altérité ne l’attirent pas forcément pour autant. L’ambition de Cristina Passima est de transformer le chemin mille fois emprunté, devenu automatisme, en un parcours aux saveurs de l’inédit, imprévu et plein de surprises. C’est l’idée qui sous-tend le projet « Repères », couloir lumineux à la volumétrie diaphane, ponctué d’accents poétiques et initiatiques, qui devait relier l’aéroport du centre-ville de Bucarest. Pour Cristina Passima la lumière est un élément essentiel qui accompagne le chemin.
L’artiste raconte à l’envers l’histoire de Hans et Gretel qui marquaient de petites pierres blanches leur chemin pour le retrouver au retour. Elle nous propose de nous écarter du chemin connu, de nous égarer, pour le redécouvrir avec un regard neuf. C’est une manière de nous inciter à regarder le trésor que nous avons fini par oublier.
Le projet « Dialogue with Emperor Qin warriors.China – EU sculpture exhibitions » jette des ponts entre la Chine, Bucarest et Paris. Autrefois la Chine renvoyait aux étranges contrées lointaines, comme dans le film de Bellocchio « La Chine est proche ». Ces contrées sont devenues nos voisins (inquiétants ?).
Tout aussi impressionnante est la capacité de l’artiste de dominer sur le plan logistique la réalisation de projets compliqués, très élaborés, avec de nombreux partenaires, aux quatre coins du monde. Cristina Passima a acquis ainsi une expérience qui l’aide à concevoir des projets pour la ville de demain qui reflète de tout autres réalités que celles du XIXe siècle. Le projet « Réflexions/Arc-en-ciel » s’intègre dans un discours postmoderne qui revisite la tradition. La réévaluation de l’ornement, en l’occurrence la petite croix brodée sur la blouse paysanne détachée de son support initial et projetée avec d’autres intentions esthétiques, génère une autre perception de l’espace dans le cadre d’une installation complexe. La broderie, la blouse roumaine, Matisse, Pallady, voici une rencontre qui fascine toujours,
comme le prouve l’exposition qui lui est consacrée lors de la Saison artistique franco-roumaine 2019 au Centre G. Pompidou.
Dans ce projet, nous retrouvons d’ailleurs une médiation entre des contraires assez sophistiqués. La borderie était une occupation féminine. Chaque femme le faisait avec plus ou moins de talent. Pallady a fait cadeau à Matisse, son collègue à l’atelier de Gustave Moreau, une collection de blouses roumaines. Passionné de l’arabesque, de l’ornement et de ses possibilités expressives, Matisse les a peintes dans deux séries de tableaux devenus célèbres. En évoquant cet épisode entré dans l’histoire de l’art, l’installation de Cristina Passima jette un pont entre la ruralité et la culture, entre l’homme et la femme, entre l’artisane et l’artiste, entre le français et le roumain.
Par ce qu’elle fait et ce qu’elle dit, Cristina Passima dégage une grande énergie positive, sthénique et contagieuse.
Ioana Vlasiu
Bucarest, janvier 2019